1940 : l’expulsion des Mosellans

Les préparatifs

« En 1940 j’avais 7 ans, notre village, Saint-Georges, était en zone occupée et nous allions être expulsés (…) L’atmosphère à la maison était fébrile, mes parents s’activaient, brûlaient, détruisaient tous les jours quelque chose. Ils savaient que nous allions être chassés et commençaient à s’organiser pour le départ. Ma mère a brûlé sans remord tout ce qui n’était pas essentiel à ses yeux : le tambour d’Armand, le violon, les papiers, les souvenirs et les photos de famille… Le comble, c’est qu’elle a vidé dans l’égout la précieuse mirabelle – breuvage oh combien sacré en Lorraine ! Il ne fallait surtout pas en laisser une seule goutte ! Elle faisait tout cela sans gémir ou s’apitoyer sur son sort, c’était plutôt la rage qui l’animait ! (…)

Le jour du départ (le 12 septembre 1940), un Allemand est passé dans toutes les maisons pour vérifier si les habitants n’avaient pas laissé le feu allumé et pour contrôler le poids des bagages (…) Avant de quitter la maison, notre père a cloué sur la porte de l’écurie sa croix de fer de 1914 qu’il avait reçu après la campagne de Russie, en tant qu’incorporé lorrain dans l’armée allemande, ainsi que la photo de Hitler. Pas plus que ma mère il ne se lamentait sur son sort en public, mais il tenait toutefois à laisser un symbole ! Chassé de sa maison, il restait digne et fier, sûr de son bon droit et de ses convictions (…)

Les Allemands ont fermé notre porte et nous nous sommes installés dans un car. Notre voisin, qui restait dans le village, nous a apporté des poulets qu’il avait cuits à notre intention. Cela nous a réconfortés, mais néanmoins, tout le monde pleurait…

Cheval-Blanc 1941, Eliane est en bas à gauche
Photo @lafabriquedesmémoires

Le voyage vers l’inconnu

Nous sommes tous descendus à la gare de Héming (à 7 km de Saint-Georges). Sur le quai, je me souviens que nous étions transis de froid et que l’on nous a servi une soupe épaisse de pois cassés d’un vert écœurant ! Depuis ce jour, je ne peux plus en manger, cette soupe me fait horreur.

Dans le train, nous avions interdiction d’ouvrir les fenêtres. Après avoir roulé plusieurs heures, nous sommes arrivés dans une grande gare (probablement celle de Mâcon), en zone libre vers 4 heures du matin ; mon père a marmonné « on parle français ici, c’est bon signe… ». Nous devions descendre pour changer de train, et moi, à moitié endormie, je suis tombée sur le quai et je me suis écorchée au visage. Combien de temps, nous sommes restés là ? Quelques heures, quelques jours ? Je ne saurais le dire…

Nous sommes montés dans un autre train, puis plus tard nous nous sommes arrêtés et nous avons pu nous dégourdir les jambes, les plus grands sont partis à la recherche d’un peu d’eau. Nous étions toujours sous la surveillance de soldats armés, tremblants de peur (…) A la gare d’Avignon, dans le centre pour réfugiés, les nombreux lits étaient dressés avec de la paille. Mon père ne voulait pas que nous nous y installions, de crainte des punaises qui s’y trouvaient certainement. Là (le 14 septembre), nous avons été « triés » on ne savait pas selon quels critères, et acheminés vers les communes environnantes… C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans le Vaucluse, à Cheval-Blanc »

Eliane.

Propos recueillis par Claudine, janvier 2011. Recherches complémentaires Laurence.

Note :

Entre le 11 et le 21 novembre 1940, les villages situés à l’ouest de la voie ferrée Sarrebourg-Metz-Thionville sont vidés. 66 trains transporteront 57.655 habitants des zones de Moyeuvre, Courcelles-Chaussy, Dieuze, Héming et Abreschwiller vers le sud-est de la France. Les expulsés embarquent avec un bagage limité à 50 kg pour un adulte et 30 pour un enfant.

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