Le monument aux morts

Ils sont 31 inscrits sur le monument aux morts de La Celle-sur-Morin, petit village de Seine-et-Marne. Ils ont entre 20 et 41 ans, sont cultivateurs, manœuvres, charretiers, employés aux Chemins de Fer, maçons ou bouchers. Ils sont célibataires, mariés, pères de famille. Ils sont frères, cousins, oncles et neveux, beaux-frères, voisins… ils se connaissent presque tous.

Ce samedi 1er août 1914, le tocsin de l’église a prévenu les habitants de l’ordre de mobilisation générale. Dans les jours qui ont suivi, presque tous les hommes adultes sont partis rejoindre leur régiment.

Ordre de mobilisation générale août 1914

Parcours de Poilus

Eugène Benoist est le premier mort du village. Il a 26 ans et disparaît à Longwy, au cours de la bataille des Ardennes, le 22 août 1914. Ce jour est le plus meurtrier de la Première Guerre Mondiale. Rien que dans son régiment, le 76ème Régiment d’Infanterie, 421 militaires seront blessés, tués ou portés disparus. Son corps ne sera jamais retrouvé et son décès ne sera officialisé qu’en 1920.

Fernand Benoist, Jules Royer et Emile Camus se sont tous mariés au cours du printemps ou de l’été 1914. Ils ont 25 ans, la vie devant eux et pleins de projets en tête lorsque la guerre éclate. Ils meurent avant Noël 1914 et laissent trois jeunes veuves – Madeleine, Georgette et Hélène – qui mettront parfois des décennies avant de reconstruire leur vie.

Gustave et Maurice Bourjot sont deux frères originaires de Guérard, la commune voisine, qui ont épousé deux sœurs de La Celle-sur-Morin. Maurice, le cadet, décède en octobre 1914 dans le Pas-de-Calais. Tout d’abord inhumé anonymement, il ne sera identifié qu’en 1923 et transféré à la Nécropole Nationale de la Targette à Neuville-Saint-Vaast. Gustave mourra en septembre 1916 dans la Meuse. Des sept fils Bourjot mobilisés en 1914, deux ne reviendront pas, un sera lourdement blessé.

Charles Brunet est l’oncle de Paul Brunet. Paul, 22 ans, et Charles, 34 ans, ont disparu à l’automne 1914. La dépouille de Charles ne sera jamais retrouvée, le Tribunal de la Seine déclarera son décès en juillet 1920. Sa famille inscrira son nom sur le caveau familial du cimetière du village.

Jules Herbert est garde-champêtre à Boissy-le-Châtel, à une quinzaine de kilomètres de son village natal. Il est marié et père de cinq enfants encore jeunes. Il a 41 ans, à quelques mois près, il aurait échappé à la mobilisation. Lorsqu’il disparaît en janvier 1915, l’armée le suppose prisonnier. Sa famille doit espérer, se rassurer… mais il ne donne pas de nouvelles. La guerre finie, il faut bien se résoudre à accepter son décès, qui sera officiellement prononcé en 1921. Son corps, retrouvé quelques mois plus tard, sera inhumé à la Nécropole Nationale de Crouy. Sa femme élèvera seule leurs enfants et décédera au début des années 1960.

Georges Léger, 39 ans, est comme son père patron de battages. Sa présence au village est indispensable en cet été 1914 car sans lui et sa machine les moissons seraient compromises. Il ne rejoindra son régiment que deux semaines plus tard. L’été 1917, il obtiendra aussi une permission pour les moissons. Il sera tué le 20 août 1918 dans l’Aisne.

Les oubliés des monuments aux morts le sont-ils vraiment ?

Tous les soldats, nés ou vivants dans le village, morts pendant le conflit ne sont pas sur le monument aux morts. Une dizaine d’autres natifs du village – et au moins autant d’habitants – décédés pendant la Grande Guerre ne sont pas présents sur le monument. Ratés administratifs, mention « Mort pour la France » tardivement attribuée, querelles personnelles, familiales ou de voisinage entre les responsables municipaux et les familles, Poilus sans proches pour conserver leur mémoire, choix de la famille de les faire inscrire sur le monument d’une autre commune ou pas du tout… les raisons de ces oublis sont multiples et difficiles à démêler.

Les commémorations du centenaire de la Grande Guerre ont été l’occasion pour de nombreuses communes de « rectifier » leurs monuments aux morts. La question se pose de la pertinence de ces ajouts. Un monument aux morts est un lieu d’Histoire qui reflète les mentalités et les enjeux de son époque. Le choix des noms inscrits peut donc être un indicateur des relations sociales dans la commune et de l’état d’esprit des habitants.

Pour aller plus loin :

  • Pour retracer le parcours de guerre des Poilus, le site Grand Mémorial regroupe les registres matricules des Archives départementales et le fichier des Morts pour la France du ministère des Armées.
  • Le portail MemorialgenWeb recense les monuments aux Morts des communes.
  • Les Livres d’Or dont consultables sur le site des Archives Nationales dans la rubrique « Salle des inventaires virtuelle » (taper « livre d’or » et le nom de la commune dans la barre de recherche en sélectionnant « archives numérisées »).
  • Comprendre les symboles des monuments aux Morts, une vidéo de l’excellente chaîne YouTube Questions d’Histoire.
  • Petite géopolitique des monuments aux morts français, un article de Boris Loumagne du 10 novembre 2018 sur le blog de France Culture.
  • Annette Becker, Les Monuments aux morts : mémoire de la Grande Guerre, éditions Errance, 1988

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