Augustine, une vie au bagne de Guyane

Augustine Lange naît en 1830 à Coulommiers, en Seine-et-Marne, et grandit à Jouarre. Son père, qui a déjà 46 ans à sa naissance, est manœuvrier, il loue ses bras à la journée ou à la semaine comme ouvrier agricole, terrassier… Dans cette famille très pauvre, Augustine a dû travailler dès son plus jeune âge probablement en tant que domestique dans une maison ou une ferme des environs. A 21 ans, elle accouche d’une petite Caroline, immédiatement placée dans un hospice pour enfants. Deux ans plus tard, Alexandre vient au monde, il est lui aussi placé. Augustine n’est pas mariée, ni elle ni ses parents ne peuvent les nourrir et elle ne peut garder ses enfants auprès d’elle si elle veut conserver son emploi. En 1855, sa mère décède et son père est admis à l’hospice des vieillards indigents, Augustine n’a plus qu’un demi-frère pour veiller sur elle.

Fin 1856, Augustine est encore enceinte… Qui est le père de l’enfant ? La relation a-t-elle été consentie ? Il est impossible de le savoir. Augustine est désespérée : elle accouche clandestinement début avril 1857 et jette le nourrisson dans un puits. Le 13 avril, le cadavre est découvert, elle se dénonce immédiatement. Elle est emprisonnée et condamnée par la cour d’assises de Seine-et-Marne le 17 août 1857 aux travaux forcés à perpétuité. Les juges ne lui ont trouvé aucune circonstance atténuante.

Volontaire pour le bagne de Guyane

Avec la loi du 20 mai 1854, dite de la transportation, le Second Empire a pour ambition d’instaurer une « colonisation pénale » en Guyane, sur le modèle mis en place par la Grande-Bretagne en Australie.  La transportation permet de débarrasser la métropole des forçats et de développer la colonie grâce à une main-d’œuvre bon marché. Pour empêcher leur retour et les obliger à s’installer sur place, les condamnés à plus 8 ans de travaux forcés doivent demeurer sur place une fois leur peine accomplie.

Augustine a alors le choix : effectuer sa peine dans une maison centrale en France ou demander son transfert vers le bagne colonial de Guyane. Celui-ci est présenté comme une chance de refaire sa vie : elle va pouvoir se marier, avoir des enfants, vivre libre sur la concession agricole qui sera allouée au couple… Les religieuses qui la gardent lui expliquent aussi qu’elle pourra faire venir ses enfants. Ces perspectives sont sans doute séduisantes pour Augustine. Fille de la campagne, elle sait s’occuper d’une ferme, elle est encore assez jeune pour avoir d’autres enfants et rien ne la retient vraiment en France.

Le 28 décembre 1858, Augustine et 35 autres femmes – toutes volontaires – embarquent à Brest sur le bateau-prison La Loire. Elles sont les premières condamnées à rejoint le bagne de Guyane. Après un mois de voyage éprouvant, elles arrivent à Saint-Laurent du Maroni où elles sont installées dans un « couvent pénitencier » géré par les sœurs de Saint-Joseph de Cluny. A Saint-Laurent du Maroni, les bagnards libérés se sont vus alloués des concessions agricoles. Les plus méritants reçoivent même l’autorisation de se marier. Les sœurs sont alors chargées de jouer les entremetteuses… et elles sont efficaces : en janvier 1861, deux ans après leur arrivée, sur les 36 condamnées, 21 ont été mariées. 14 autres sont par contre décédées, victimes du climat, des maladies et des conditions de vie déplorables.

Dessin Edouard Riou vers 1862
Source : Université des Antilles et de la Guyane

Trois mariages et plusieurs enterrements

Le 11 juin 1860 Augustine épouse Pierre Marie Druais, de vingt ans son aîné, originaire du Morbihan. Voleur multirécidiviste, il est arrivé en Guyane en 1852 et, après avoir bénéficié d’une remise de peine, a obtenu une concession dans les environs de Saint-Laurent. Elle ne l’a sûrement pas choisi mais peut-être se sont-ils bien entendus car, dans l’acte de mariage, Pierre reconnaît être le père des deux enfants d’Augustine. Comment a-t-elle réussi à le convaincre ? Caroline et Alexandre sont trop jeunes pour être vraiment utiles sur l’exploitation, ils sont une charge supplémentaire alors que le couple arrive tout juste à survivre. A-t-elle conditionné son mariage à l’arrivée de ses enfants ? Pierre était-il un homme généreux qui voulait faire plaisir à sa femme ? Augustine devait avoir du caractère pour imposer pareille condition. Caroline rejoindra sa mère en Guyane : elle s’y marie en 1866 avec un ancien bagnard et y meurt en 1867, à 17 ans. Quant à Alexandre, pas de traces dans les archives : je ne sais ce qu’il est devenu. Augustine et Pierre auront deux enfants : Pierre en 1862 qui meurt à 11 ans et Jean-Baptiste en 1865 qui lui se mariera à Saint-Laurent en 1903.

La vie d’Augustine est rude, elle travaille dans des conditions difficiles et pour de maigres revenus. Mais elle n’est plus enfermée, elle a sa maison, sa famille même si elle est toujours condamnée. En 1869, son mari décède. Elle se retrouve seule avec deux jeunes enfants, elle n’a d’autre choix que de se remarier. Les religieuses lui trouvent donc un nouveau conjoint : Dominique Barbarin, condamné pour assassinat qu’elle épouse en 1871. Cinq ans plus tard, de nouveau veuve, elle se marie pour la troisième fois avec Jean-Baptiste Bladier, délinquant sexuel et assassin ayant purgé sa peine. Lorsque ce dernier décède en 1895, Augustine doit être épuisée. Elle a 65 ans et est l’une des dernières condamnées encore vivante du transport de 1858. L’année suivante elle obtient enfin une remise de la totalité de sa peine. Elle peut alors si elle le souhaite, mais à ses frais, rentrer en France… où personne ne l’attend après 38 ans d’absence.

Augustine meurt le 22 avril 1904 à l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni. Elle avait 74 ans.

Pour connaitre le sort des compagnes d’Augustine, je vous invite à lire l’article « Des femmes au bagne de Guyane : 1859, le premier convoi » publié sur ce blog.

Pour aller plus loin :