1850 – Des acrobates marocains en France

Paris, 29 juin 1850, le Cirque des Champs-Elysées présente une « troupe extraordinaire de neufs acrobates kabyles arrivés à Paris il y a quelques jours seulement ». Ces acrobates arabes, touaregs ou kabyles – ainsi que les désignent les affiches ou les journaux – sont en réalité presque toujours des artistes marocains qui exécutent, sur les scènes des cirques européens, des numéros de pyramides humaines ou de voltigeurs.

Le cirque est alors un divertissement très populaire. Le public se presse dans les cirques « en dur » et sous les chapiteaux itinérants pour admirer les dresseurs, les acrobates et les clowns. Les spectateurs sont friands de numéros inédits et de plus en plus impressionnants.

Le succès

Saïd, 23 ans originaire de Mogador – l’actuelle Essaouira – et Mustapha, 27 ans de Fez, font probablement partie de cette troupe qui se produit à Paris. Ils sont très vite engagés par Joseph Bracco, directeur d’un petit cirque familial italien. L’arrivée de ces acrobates permet à Joseph de se démarquer de ses concurrents, les numéros présentés sont inédits et originaux : « l’athlète Mustapha, homme à l’aspect formidable, porte toute la troupe sur ces épaules » tandis que Saïd voltige avec couteaux et poignards.

La collaboration est fructueuse, le cirque rebaptisé « Grande loge de la troupe des Cinq-Nations » ou « Troupe des arabes » est constamment en tournée en France et en Europe. Il compte une quarantaine d’artistes et un chapiteau « avec une salle richement décorée et éclairée par 200 becs de gaz (qui) offre tout le confort possible ». Le cirque est tellement connu que Jules Verne y fera allusion en 1885 dans son roman Mathias Sandorf.

Programme cirque Bracco
Gaston Escudier, Les Saltimbanques : leurs vies, leurs mœurs, Ed. Michel Levy Frères, 1875. Source Gallica

Naissance d’une dynastie d’artistes

Trois ans après son arrivée, en 1853, Mustapha est devenu co-directeur du cirque et a épousé Marie Elisabeth l’une des filles Bracco. Les dernières mentions du cirque trouvées dans la presse datent de 1882. Que se passe-t-il ensuite : la famille Bracco se sépare-t-elle ? Joseph est-il décédé ? Quoiqu’il en soit on retrouve Mustapha lors de son décès à Rennes en 1895 où il est directeur d’un tir forain avec sa femme et leur fils.

Et Saïd, que devient-il ? Il épouse lui aussi l’une des sœurs Bracco, Marguerite. Le même jour que Mustapha. Un double mariage forain à Poitiers. Marguerite et Saïd auront de nombreux enfants et continueront leurs carrières d’acrobates. Une de leurs filles, Emma deviendra « dresseuse de puces » sous le nom d’Aïcha. La légende dit qu’elle fut l’amie de la Goulue et qu’elle posa comme modèle pour Toulouse-Lautrec. Ce qui est certain, c’est qu’Emma était la grand-mère d’Edith Giovanna Gassion, plus connue sous le nom d’Edith Piaf. Emma élèvera Edith les premières années de sa vie.

Ce texte m’a été inspiré par l’affiche du programme visible dans cet article, affiche trouvée au cours de mes pérégrinations sur internet. La présence d’artistes maghrébins dans les cirques européens au 19ème siècle m’était totalement inconnue. Le langage employé sur cette affiche est choquant et offensant mais reflète l’état d’esprit de l’époque à l’égard des non-européens. En outre, ce document est une affiche publicitaire conçue pour attirer le public, le discours est donc aussi exagéré et caricatural.

Notes et sources :

  • Sur Gallica et RetroNews, articles de presse : Le Nouvelliste (Paris, 29 juin 1850),  L’Avenir Républicain (Troyes du 21 février et 9 mars 1877), L’Ouest Eclair (Rennes, 3 septembre 1880).
  • Jules Verne, Mathias Sandorf, 1885. Cinquième partie, chapitre 2 « la fête des cigognes ».
  • Emma serait représentée sur le tableau « La danse mauresque » que Toulouse-Lautrec peignit pour la baraque foraine de La Goulue au printemps 1895. Cela est possible car elle se trouvait à Paris à cette époque, juste avant de partir en Italie où elle accoucha, au mois d’août 1895, d’Annetta, la mère d’Edith Piaf.

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